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En tout homme le monde se tâtonne,
Le vieux Demiurgos s’évertue vainement,
Dans tout cerveau le monde s’interroge
De nouveau : d’où vient-il et où va-t-il ? Fleur
Des désirs obscurs plantés dans l’abîme.

Tout le noyau du monde, désir et grandeur,
Est caché et vit dans le cœur de chacun,
Jet hasardé, tel l’arbre en floraison
Qui charge de toute son essence chacune de ses fleurs
Et qui, en train de donner des fruits, les voit mourir.

Ainsi, le fruit humain gèle en chemin,
L’un se pétrifie en esclave, l’autre en empereur,
Emplissant de compréhensions sa pauvre vie
Et montrant au soleil la misère de sa face —
Car l’intelligence des choses est la même, donnée à tous.

Éternellement, les mêmes désirs masqués d’habits différents,
Et dans toute l’humanité le même homme, éternellement :
Le cruel mystère de la vie apparaît sous de multiples formes,
Il trompe tout le monde et ne se confesse à personne,
Désirs sans bornes plantés dans un atome.

Lorsque tu sais que ce rêve aboutit à la mort,
Qu’après toi le tout demeure tel qu’il est, quoi que tu fasses
Et quoi que tu veuilles faire dans ce monde — alors, tu es las
De l’éternelle course et une pensée te séduit :
Que la vie du monde est le rêve de la mort éternelle.


Mihaïl Eminescou.


Traduit du roumain par M. S.