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Ils attirent, dans la volupté de l’orgie bruyante
Des musiques aveugles, vos filles belles ;
Leurs vieillards flétrissent nos beautés vierges.

Et si vous demandez alors ce qu’à vous il vous reste ?
Le labeur ; qui leur permettra de se vautrer dans les joies,
L’esclavage pour toute la vie, le pain noir mouillé de pleurs,
La misère dans la honte de vos filles souillées.
Tout pour eux, et rien pour vous ; à eux le ciel, à vous les douleurs. !

Eux n’ont pas besoin de lois : la vertu est aisée
Quand on a ce qu’il faut… Mais les lois sont pour vous.
On vous applique la loi, on vous jauge la peine
Lorsque vous tendez la main vers de bonnes choses souriantes,
Car même au bras de la terrible nécessité il n’est pas pardonné.

Brisez l’ordre établi, cruel et injuste
Qui divise le monde en miséreux et en riches.
Et puisqu’après la mort aucune récompense ne vous attend
Faites que dans ce monde il y ait une part équitable,
Égale pour chacun, et que nous vivions en frères !

Brisez la statue nue de l’antique Vénus,
Brûlez ces toiles aux corps de neige,
Elle déchaînent dans l’âme l’idée malheureuse
De la perfection humaine, et elles font choir
Sous les griffes de l’usure les filles du peuple !

Brisez tout ce qui attise leur cœur malade,
Dévastez palais, temples, qui recèlent des crimes,
Abattez les statues des tyrans, qu’une lave coule dans le feu
Qui purifie les pierres de toute trace, esclave
De ceux qu’elle suit jusqu’au bout de la terre !

Brisez tout ce qui marque orgueil et fortune,
Ô ! déshabillez la vie de son vêtement de granit,
De pourpre, d’or, de larmes, d’ennui,
Qu’elle ne soit plus qu’un rêve, qu’une illusion
Qui sans angoisse traverse le temps infini.