XXI
Où madame Pinette pâlit
Antoine avait l’air pressé et parlait haut.
« Bonjour la compagnie, dit-il d’une voix forte, un œil sur le sauvage, l’autre à la fenêtre… Coudon, Baptiste, continua-t-il, je t’ai apporté une poche de gru ; où est-ce que tu veux que je mette ça ?… Wo ! Arié la Grise… »
Mais la Grise, laissée à la porte, filait à une vitesse inaccoutumée vers l’étable, où Antoine la poursuivit…
M. Pinette regarda, puis entra dans la grand’chambre, où Madame Pinette était toute pâle…
« Qui est-ce qui lui a dit qu’Antoine avait une jument grise et une clochette fêlée ? interrogea-t-elle avec anxiété. A-t-il pu le voir venir avec sa grise ou entendre la clochette ?
— Non, c’est impossible.
— Lui en as-tu parlé ?
— Non.
— Vous êtes-vous arrêté quelque part ? A-t-il parlé à quelqu’un dans les environs ?
— Pas à ma connaissance. D’ailleurs ça ne se peut pas.
— Mais qui a bien pu lui dire tout ça ?
— Le Bon Dieu le sait !… répondit Baptiste de plus en plus intrigué.
— Je pense pas que ce soit le bon Dieu qui lui ait dit tout ça… Au contraire ! En tout cas, ce pauv’Antoine, faites-lui rien toujours.
Dans la cuisine, le Sauvage donnait des signes d’impatience.
Antoine retourna auprès de lui, et ce dernier prit aussitôt la parole. « Je ne lui ferai pas plus de mal que ça, déclara-t-il, ni à toi ni à tes animaux ; mais je vais travailler dans ton étable avec lui, un marteau neuf et une égohine neuve. Es-tu décidé ?… Va t’en à l’église et laisse-moi faire avec l’homme aujourd’hui.