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Par contre, derrière les chevaux, le fumier accumulé depuis l’automne servait de réchaud, sinon de désinfectant, à l’air que respiraient les bêtes.

De tout cela, et malgré le froid du dehors, se dégageait une atmosphère humide, tiède et fétide. En certains coins elle était absolument nauséabonde, à preuve que le Sauvage avait déjà deux fois doublé le volume de sa chique.

Le mur sud, absolument vierge d’ouvertures, sauf le guichet, ruisselait d’une buée intense, tout comme le plafond ; le mur nord, surtout autour des deux seules ouvertures du bâtiment, était couvert de frimas.

Le Sauvage, comme stupéfait, regardait tout cela d’un air effaré, portait la main au front, mais restait muet.

Et M. Pinette regardait tour à tour le Sauvage puis ses bêtes.

Nous, les jeunes, regardions les deux hommes.

L’âme commune souffrait évidemment, ou au moins était inquiète. L’une des plus grosses vaches essaya de se lever, mais n’en eut pas la force. Le bruit qu’elle fit en retombant avec lourdeur sur le pavé gluant, détermina chez les animaux le mouvement d’ensemble inquiet, puis nerveux, qui se produit quand le troupeau voit ou espère voir venir la ration.

Le mouvement, comme une onde, se propagea à toute l’étable-écurie-bergerie-porcherie-poulailler. Toutes les bêtes y prirent part puis se calmèrent… L’onde avait passé…

Mais au fond, là-bàs, des deux bœufs de travail, qui depuis plusieurs minutes nous regardaient tristement de leurs grands yeux doux et mornes, tournèrent ensemble la tête vers le groupe humain dont M. Pinette était le centre, puis relevant le museau et le regardant presque fixement comme s’ils eussent voulu s’adresser spécialement à lui, firent tous deux entendre un mugissement, à la fois si lugubre’et si plaintif, qu’au milieu du silence général, quelque chose de navrant nous gâgna. Et M. Pinette tourna la tête, évidemment pour cacher les deux grosses larmes que nous voyions perler à ses yeux.

Pourtant c’était la Noël, la Noël toute d’allégresse, puisque dans quelques heures les joyeuses volées des cloches au son argentin allaient convier aux joies célestes, puis aux innocents mais inexprimables plaisirs du foyer les peuples chrétiens en liesse…