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Et Baptiste alla atteler, pour un voyage de dix lieues à la recherche du sauvage, qu’il emmena le lendemain, veille de Noël.

Cet homme ne paraissait avoir de sauvage que son teint noir, ses cheveux longs et un laconisme assez prononcé. Les gens disaient qu’il avait presque perdu la voix dans des excès de boisson aux États-Unis, où, paraît-il, il avait étudié la médecine pour les chevaux dans les grosses écoles, mais que l’abrutissement alcoolique lui ayant fait perdre tout son savoir, il ne soignait plus que par des procédés secrets, qu’il ne divulguait à personne.

Mais les gens en disent tant !

Chose sûr, c’est qu’il ne paraissait pas instruit et n’avait pas l’air trop meçieu.

Quand il jasait un peu, il parlait à peu près comme nous autres, mais il tutoyait presque tout le monde.

À mesure qu’il approchait du 3e rang, le Sauvage parlait un peu plus, surtout il questionnait.

« Chez cet habitant-çi » disait-il, « comment ça va ? »

— Pas trop ben non plus, répondait Baptiste, une vache de morte hier.

Il y a quelque chose qui va pas dans la place, déclara le Sauvage.

— Et ici ?

— Ici ils n’ont pu faire de beurre de l’année, rien que de la colle. Du monde propre, pourtant !

— Je m’en doutais ; Ça va mal.

— Et celui-là, il a dû s’endetter et subir des pertes ?

— Oh, oui ! Il a perdu trois cheveaux et deux poulains en deux ans…

Il est découragé lui aussi. Son encan est faite ; et ses filles sont rendues aux facteries ; sa terre est impotiquée…

— Il faudra voir à ça, il faudra voir à ça, » disait le sauvage en hochant la tête…