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X

Lésime fait dire…


Le dimanche suivant, à la porte de l’église, un crieur public modula d’une voix de stentor l’avis comminatoire que l’on va lire :

« Lésime Forquier, inspecteur pour le 3e rang, fait dire à toutes les ceuses qui ont des parts de route ou des fronteaux, soit dans le grand rang, soit au cordon, d’avoir à les arranger entre-ci jeudi… Autrement ça sera l’amende drette !… Relevez vos clôtures, netteyez vos fossés, videz vos calvettes, pi mettez vos ventres-de-bœuf en loi. »

Comme la saison des ventres-de-bœuf était plutôt passée, on entendit des rires dans la foule.

Le crieur, qui avait cité de mémoire l’une des formules traditionnelles de ces sortes de bans, sans s’occuper d’y mettre la variante spéciale à la saison, ne perdit pas contenance, et se hâta d’ajouter : « Y paraît qu’y va venir ben des candidats dimanche, mettez vos chemins ronds. Si MM. les candidats varsent y varseront comme y faut, chacun dans leur fossé : ça fera pas de jaloux ! »

Les rieurs soulignèrent cette saillie anodine, puis se mirent à parler des rouges et des bleus, c’est-à-dire de politique. Avant comme après le jeudi fixé par le rigide inspecteur, à peu près personne, si ce n’est Baptiste et Antoine, ne toucha à son chemin. Et le printemps suivant, les ventres-de-bœuf, dans la route, et au cordon, étaient aussi nombreux, aussi profonds et aussi prospères que jamais.

Il existe pourtant un moyen très facile d’empêcher ces précipices de se former. Il suffit, comme l’avait dit le facétieux crieur, d’arrondir les chemins mais à l’automne, avant les gelées. La route ainsi rendue convexe ne retient plus qu’une minime