Page:La Glèbe - Le diable est aux vaches.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

IX

Rouges et bleus


Mais revenons à notre scandale, c’est-à-dire à la fameuse philippique du Toine, dont la conclusion, la sanglante apostrophe de vire-capot, jetée sans pitié à la figure de Baptiste, sentait pas mal les élections.

C’est que la tourmente politique de 187… battait son plein, et que le haut du Trois, bleu de père en fils, avait perdu en la personne du Père Pinette le chef qui invariablement conduisait à la victoire les cohortes de son boute, réussissait même quelquefois à faire de bonnes trouées dans les rangs pourtant serrés du Bas, où l’on était rouge vif, depuis surtout que le vieux Tremblay, beau-père d’Antoine, avait organisé jusqu’à l’extrême fin de la concession les phalanges libérales.

Cette année, le chef bleu tout désigné du Haut était Baptiste. Mais nous l’avons dit, sa femme, Agathe, était adroite et rusée. Or, elle était rouge. Toute sa parenté dans la Beauce avait constamment suivi la fortune et le drapeau politiques des Taschereau, et fait une guerre acharnée à Hector Langevin, le maire de Québec, devenu depuis grand ministre[1].

La femme d’Antoine, digne fille du Père Tremblay, partageait les mêmes vues politiques, mais ne s’en mêlait pas, ouvertement du moins. N’empêche pas que les deux voisines se rencontraient plus souvent qu’à l’ordinaire depuis quelque temps… sous prétexte d’échanger de la tissure pour de la chaîne et d’organiser conjointement leur ouvrage au métier plus à bonne heure que de coutume c’t’année.

  1. Durant les quelques années qui suivirent la Confédération, le peuple désignait quelquefois ainsi les ministres du gouvernement canadien. Les membres des gouvernements provinciaux étaient appelés « ministres », tout court.