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VI

Mauvais calculs, encans et cancans


À la louange du petit Baptiste, nous devons dire qu’ayant hérité des goûts et de l’enthousiasme de son défunt père pour la culture du sol, il ne faisait de travaux forestiers que ce qui était de nature à accroître la superficie de ses défrichements — mais sans trop s’occuper, malheureusement, des soins que ces derniers requéraient pour conserver au sol sa fertilité naturelle. Baptiste s’appliquait aussi, et avec une opiniâtreté remarquable, à accroître le nombre des têtes de bétail que sa ferme pouvait nourrir ; mais là encore son ambition l’amenait à manquer de mesure et d’équilibre dans ses opérations.

Il allait trop vite en besogne ; il forçait la note. Ainsi, sitôt son père mort, il s’était hâté de doubler son stock d’animaux.

Tout colon qui faisait encan, pour prendre bientôt le chemin de la frontière, après avoir vendu son roulant sur billets promissoires, à long terme mais à gros intérêt, était sûr d’avoir Baptiste pour client, tant Baptiste était désireux d’accroître toujours son mobilier, et surtout le nombre de ses animaux. Tout cela provoquait bien dans le rang quelques commentaires, les uns laudatifs, les autres plutôt malveillants. Parmi ces bavassements qui se faisaient l’on aurait pu croire à un commencement de jalousie ou au moins d’aigreur, surtout de la part du Toine, voisin de Baptiste, né et élevé comme lui dans le haut du Trois, et de son nom intégral Antoine Charlot, fils de feu Pierre Charlot, l’un des premiers colons de l’endroit, et compagnon de sueurs et de misère du défunt Père Pinette.

Les Charlot avaient toujours passé pour de braves gens, bien qu’un peu à pic et prompts, peut-être aussi un peu trop serre-la-poigne des fois, un petit peu grattins comme on dit. Chacun ses petits défauts !… À part ça du monde honnête et de service « à plein », puis du monde d’église !