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POÉSIE.

Est-ce avec des sonnets, est-ce avec la ballade,
Par Molière moquée, et dite chose fade,
Que vous détrônerez nos frêles demi-dieux ?
Vous voulez innover, et vous faites du vieux !
Jupiter et l’Olympe et sa jalouse reine,
La lyre d’Apollon, les eaux de l’Hippocrène,
Le carquois de l’Amour, le char de Phaéton,
Le trident de Neptune et celui de Pluton,
Les grâces de Vénus déliant la ceinture,
Ne sont qu’une riante et trop vieille imposture :
Soit… Mais cet arsenal classique délaissé,
Comment l’avez-vous donc, s’il vous plaît, remplacé ?
Vous avez mis partout, en détail comme en somme :
Ma poitrine de femme et ma poitrine d’homme ;
Lame, dague, poignard ; dalle, ogive ; ciel bleu…
Cela revient toujours : c’est fort bien ; mais, corbleu !
Trop mince me paraît votre vocabulaire,
Et plus ample est cent fois celui du vieil Homère.
Vouloir des temps passés éclipser les flambeaux,
C’est une noble audace, et ces projets sont beaux.
Mais Ronsard ne suffit pour enfoncer Racine !
Racine attend encore une gloire assassine.
— Quoi ! vous osez louer Racine ! — Eh ! mon Dieu, non.
Mais faites donc échec, sans injure, à son nom.
Par des chefs-d’œuvre allez, sur la scène tragique,
Faire pâlir à mort son laurier dramatique,
Et ne vous bornez plus à le dire enfoncé :
Enfoncez-le !… L’arrêt sera mieux prononcé.
Je trouve, comme vous, son poignard trop classique,
Et ses Grecs trop Français… Mais son style est magique,
Et le vôtre est barbare ! Il a du goût, du sens,
Et c’est ce qui vous manque. Or, joignez, j’y consens,
Le style de Racine à l’âme de Corneille :
À mes yeux étonnés montrez cette merveille,
Et je dis, comme vous, Racine est enfoncé,
Voltaire déconfit, et Corneille effacé.
Mais, jusque-là, messieurs, permettez quelque doute
À celui qui vous voit égarés sur la route.
— Vous voilà vieille France ! et je m’étais mépris.
C’est le classique seul qui pour vous a du prix.
— Point du tout ! et, s’il faut enfin que je m’explique,
Mieux que vous, franchement, je me crois romantique.