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Poésie.

LES DEUX GENRES.

Nous avons tout changé. — Tout ! c’était trop, peut-être.
— Tout est brisé, détruit : nous n’avons plus de maître,
Plus de législateurs,… ou nous le sommes tous.
— Tant pis pour votre empire et pour chacun de vous.
Je conviens volontiers que la suite des âges
Amène d’autres goûts et veut d’autres usages.
Les Grecs et les Romains ont eu de fort beaux jours :
Mais la voix peut faiblir à les chanter toujours.
Les dieux ont vu passer leur gloire poétique :
Ils ont régné mille ans sur le Parnasse antique ;
Et la muse moderne, indigente en ses fers,
S’est lassée à rimer l’Olympe et les enfers.
Bernis, d’autres encor, de la mythologie
Ont usé fadement la brillante magie.
Le théâtre languit avec ses unités,
Sa froideur compassée et ses timidités.
Les bornes sont partout dans la vieille carrière,
Le talent ne peut plus y marcher qu’en arrière…
Il faut des pas hardis, et je battrai des mains
S’ils s’impriment, puissans, dans de nouveaux chemins.
— Vous voilà, jeune France ! — Et non comme vous l’êtes.
Je veux ce qu’on doit faire, et non ce que vous faites.
Car enfin je vous vois, fiers de tout renverser,
Habiles à détruire, et non à remplacer.
Vous dites que l’auteur de Marion de Lorme
L’emporte sur la Phèdre, au fond et dans la forme !
Au-dessus de Cinna vous mettez Hernani !
Et Tancrède descend au-dessous d’Antoni !
C’est briser des autels pour élever les vôtres :
Ne pouvez-vous monter sans descendre les autres ?
Je garde peu d’estime au poète musqué :
Dorat est ridicule, et son vers efflanqué.
Les bouquets à Chloris et ces épithalames,
Et ces froids madrigaux bons à livrer aux flammes.
Œuvres de cent auteurs, sont passés avec eux…
Mais vous qui les blâmez, êtes-vous plus heureux ?