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Le Bouif errant

Puis, se renversant sur sa chaise et croisant son pied nu sur sa jambe gauche avec autant d’élégance qu’un artiste de la Comédie-Française, il toisa le gérant et prononça :

— Me prenez-vous pour un miteux ?

Le gérant demeura stupéfait. Le Bouif lui tendait un billet de mille francs : le billet du docteur Cagliari.

— Veuillez m’excuser, fit-il en s’inclinant obséquieusement. J’ai eu tort.

Et il bouscula un garçon afin de dissimuler sa confusion.

— T’as vu ? murmura à l’oreille de la jeune Gaby la poule prudente qui avait remarqué l’incident. Il a mis cinquante louis dans la soucoupe. C’est pas un fauché qui eût fait cela. Il est riche et joliment plus rigolo que l’idiot qu’on a levé ce soir.

— Tu peux dire ! opina Gaby. Moi, j’aime les gens qui font des blagues.

Alors, comme Bossouzof, plongé dans une rêverie diplomatique, fermait les yeux sous ses bésicles quadrangulaires, elle prit une banane sur la table et la lança à Bicard. Ce dernier l’attrapa au vol, salua, sourit à la poule et, pour ne point laisser sans réponse cette marque d’amabilité commerciale, riposta avec une mandarine.

Or le hasard, qui se sert des moindres causes pour bouleverser les Empires, permit qu’à ce moment précis le plénipotentiaire du Conseil de la Couronne de Carinthie se réveillât en bâillant (comme savent bâiller les diplomates) de toute sa mâchoire de bouledogue.