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Le Bouif errant

— Merci ! fit-il à l’agent.

C’était la première fois de sa vie qu’il remerciait un fonctionnaire de la police. Mais le Bouif était déjà presque désincarné.

Avec une docilité admirable il salua les deux gardiens et se dirigea vers l’avenue des Champs-Élysées.

Il pensait que s’il avait mal choisi son jour pour se précipiter du haut de l’Arc de Triomphe, il était toujours facile à un piéton de trouver la mort parmi les véhicules qui rendent la chaussée impraticable.

Fermant les yeux comme un aveugle, il se lança au milieu de la grande avenue.

Étourdi, d’abord, par les jurons des chauffeurs, les invectives et le bruit, il fut tout à coup étonné d’un grand silence. Une paix sereine l’enveloppait.

— Je suis dans le Néant, pensa Bicard. J’aurai été écrasé sans m’en apercevoir. Les pneus confort ne font pas de bruit.

— Imprudent ! prononça une voix. Quand on est atteint de cécité, on ne quitte point les trottoirs.

Surpris, Bicard ouvrit un œil et s’aperçut qu’un second agent lui tenait le bras et le guidait, avec mille précautions, entre le flot montant et le flot descendant des taxis arrêtés comme les vagues de la Mer Rouge sur le passage des Hébreux.

Décidément, la police s’opposait à son suicide.

Et cela causa au Bouif une indignation d’autant plus grande qu’il dut, une seconde fois, remercier l’agent sauveteur, lequel s’obstinait à lui proposer de l’accompagner à son domicile.

Or, le domicile de Bicard était, pour le moment, la salle des pas-perdus de la gare Saint-Lazare,