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Le Bouif errant

pressionné la grande maison Rigobert, bien plus que le talent et la modestie. Il était ainsi parvenu au grade de metteur en scène, animateur, créateur, mystificateur et révélateur imprévu des chefs-d’œuvre de la littérature française, qu’il accommodait à des sauces cinématographiques fort curieuses.

Car Clairvil s’imaginait, comme beaucoup d’autres de ses pareils, que l’extériorisation photographique d’un roman exige un talent beaucoup plus considérable que celui du romancier lui-même. Simplement, naturellement, sans savoir comment, Clairvil prenait, insensiblement la place de l’écrivain. Il devenait tour à tour Balzac, Dumas, Victor Hugo, Lamartine ou Mme de Sévigné. À lui seul il représentait deux ou trois siècles de pensée : et cela ne le gênait point pour écrire, sur les écrans, des textes de sa composition, remplis de proses géniales et de fautes de français bien personnelles que le public attribuait, d’ailleurs, au Cinéaste.

Le Cinéaste Mirontin était le paria de Clairvil, l’esclave de cette Brute importante et autoritaire, qui ne parlait qu’avec le dédain ou l’injure à la bouche afin d’affirmer de la sorte sa supériorité incontestable.

Mirontin avait l’infortune d’avoir du talent et d’être pauvre. Ces deux défauts semblaient à Clairvil des tares physiques et morales dignes de mépris. Et comme il possédait l’aspect et la conformation extérieure et morale d’un bull-dogue, il aboyait à tout propos contre l’infortuné Mirontin et le rendait responsable de toutes ses sotises et de toutes ses bévues.

Mirontin baissait les épaules, encaissait les in-