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Le Bouif errant

encombraient le dessus de la cheminée. Les restes du déjeuner de midi étaient encore servis sur le guéridon. Mme Soupir se versa en gémissant une dernière tasse de café.

Puis elle déploya un saut de lit en crêpe de Chine rose orné de fausses dentelles défraichies.

C’était un souvenir que Mlle Coqueluche lui avait laissé en partant. Un parfum de lilas et d’œilet blanc imprégnait encore l’étoffe légère. La concierge se drapa dans cette parure en s’adressant des sourires. Malgré ses cinquante-neuf ans, il y avait encore des moments où Mme Soupir se souvenait des attitudes d’autrefois.

Elle avait été danseuse à la Scala, à l’époque où ce music-hall connaissait une renommée mondiale. Instinctivement, elle fredonna une ritournelle d’Anna Held :

Voilà la marcheuse !
À la démarche gracieuse… etc.

— Ah ! jeunesse, soupirait-elle, avec mélancolie. Ah ! jeunesse !

Elle se tortillait devant la glace, minaudait, s’adressait des baisers. Elle semblait revivre des minutes d’extase.

Des fleurs tombèrent à côté d’elle. Sans se rendre compte, elle ramassa une branche de lilas blanc fort détériorée et la porta à ses lèvres. Elle refaisait machinalement les gestes de la ballerine qu’elle avait été trente ans auparavant. Drapée dans le vêtement de soie rose, elle cambrait une taille en-