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Le Bouif errant

Madame de Sévigné. Mes péripéties suffiraient à remplir des volumes et si je vous racontais mes inventaires…

— Avatars, souffla encore le garçon, dans un jet de vaporisateur.

— Je préfère demeurer homonyme et inconnu, à cause des gens que cela pourrait compromettre, continua le remuant personnage. Cependant, j’ai connu tour à tour la paille humide des prisons et la moleskine des ministères ; j’ai été inculpé d’assassinat…

— Hein ? sursauta la caissière, abasourdie.

— Oui, et cela m’aurait rendu célèbre, acheva avec philosophie le singulier petit homme. Un crime, c’est un moyen de publicité plus épatant qu’un service rendu à l’humanité. Mais j’ai été malheureusement convaincu d’innocence et relaché avant d’être guillotiné. Cela a interrompu ma notoriété. Et pourtant j’ai occupé, néanmoins, des situations honorablement équivoques dans la société des hommes d’État. La politique n’a plus de secrets pour moi.

Il soupira avec mélancolie et affirma :

— Trois passions ont occupé ma vie : Mes courses, les bistros…

Il s’arrêta, comme un ténor qui escompte un effet scénique

— Et les femmes ! fit-il aimablement, en enveloppant la Junon du Comptoir d’un irrésistible sourire.

La Junon du Comptoir rougit un peu. L’œil du singulier client la détaillait avec une insistance à laquelle les abonnés du magasin ne l’avaient point