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Le Bouif errant

de Miromesnil, gagnait, en rasant ses contemporains, des sommes beaucoup moins importantes. Cette injustice du sort l’attristait.

Par contraste, le patient qu’il opérait, sur le fauteuil, devant le lavabo de porcelaine, possédait une physionomie singulièrement réjouissante.

Entourée par les blancheurs des serviettes et du peignoir, sa tête émergeait d’un nuage de lingeries, comme celles d’un de ces angelots, privés de corps, qui peuplent les Assomptions des grands maîtres de la peinture.

À vrai dire, l’individu ressemblait beaucoup plus à un poivrot qu’à un ange. C’était un petit homme d’une cinquantaine d’années, qui paraissait fort alerte et bien portant. Un sourire perpétuel, comme celui d’un secrétaire de l’Académie française, exhibait, sous une courte moustache en brosse, une rangée de dents inégales, un peu noircies par l’usage du tabac et des spiritueux.

il y avait dans les yeux bruns de cet homme une bonne humeur à l’épreuve des pires événements ; une malice sournoise et une gaieté communicative que les glaces de l’établissement se renvoyaient et multipliaient, peuplant ainsi la boutique d’une foule de physionomies hilares, qui égayaient la vulgarité du décor.

— Vinaigre ou alcool ? interrogea de nouveau l’organe monotone du garçon.

— Alcool ! Alcool ! fit l’archange… Ne vous trompez pas. Le vinaigre est contraire à mon tempérament, mais l’alcool m’a toujours réussi. Il y a des gens qui appellent cela un produit nocif parce qu’ils en ignorent les facultés. L’alcool, c’est tout