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D’ESOPE.

viroit plus utilement eſtant prés du Roy, que s’il demeuroit à Samos. Quand Creſus le vid, il s’étonna qu’une ſi chetive creature luy euſt eſté un ſi grand obſtacle. Quoy ! voilà celuy qui fait qu’on s’oppoſe à mes volontez ! s’écria-t-il. Eſope ſe proſterna à ſes pieds. Un homme prenoit des Sauterelles, dit-il : une Cigale luy tomba auſſi ſous la main. Il s’en alloit la tuer, comme il avoit fait les Sauterelles. Que vous ay-je fait ? dit-elle à cet homme : je ne ronge point vos bleds : je ne vous procure aucun dommage : vous ne trouverez en moy que la voix, dont je me ſers fort innocemment. Grand Roy, je reſſemble à cette Cigale ; je n’ay que la voix, & ne m’en ſuis point ſervy pour vous offenſer. Creſus touché d’admiration & de pieté, non ſeulement luy pardonna ; mais il laiſſa en repos les Samiens à ſa conſideration. En ce temps-là le Phrygien compoſa ſes Fables, leſquelles il laiſſa au Roy de Lydie, & fut envoyé par luy vers les Samiens qui décernerent à Eſope de grands honneurs. Il luy prit auſſi envie de voyager, & d’aller par le monde, s’entretenant de diverſes choſes avec ceux que l’on appelloit Philoſophes. Enfin il ſe mit en