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LA VIE

la froideur & l’indifference d’une ſtatuë, il amena ce Païsan au logis. Voilà, dit-il à Xantus, l’homme ſans ſoucy que vous demandez. Xantus commanda à ſa femme de faire chauffer de l’eau, de la mettre dans un baſſin, puis de laver elle-meſme les pieds de ſon nouvel Hoſte. Le Païſan la laiſſa faire, quoy qu’il ſçût fort bien qu’il ne meritoit pas cet honneur : mais il diſoit en luy-meſme : C’eſt peut-eſtre la coûtume d’en uſer ainſi. On le fit aſſeoir au haut-bout ; il prit ſa place ſans ceremonie. Pendant le repas, Xantus ne fit autre chose que blâmer ſon Cuiſinier : rien ne luy plaiſoit ; ce qui eſtoit doux, il le trouvoit trop ſalé ; & ce qui eſtoit trop ſalé, il le trouvoit doux. L’homme ſans ſoucy le laiſſoit dire, & mangeoit de toutes ſes dents. Au Deſſert on mit ſur la table un Gaſteau que la femme du Philoſophe avoit fait : Xantus le trouva mauvais, quoy qu’il fuſt tres-bon. Voilà, dit-il, la patiſſerie la plus méchante que j’aye jamais mangée : il faut brûler l’Ouvriere : car elle ne fera de ſa vie rien qui vaille : qu’on apporte des fagots. Attendez, dit le Paysan ; je m’en vais querir ma femme, on ne fera qu’un buſcher pour toutes les deux. Ce dernier trait de-