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LA VIE


geurs égarez (aucuns diſent que c’eſtoient des Preſtres de Diane) le prierent au nom de Jupiter Hoſpitalier, qu’il leur enſeignaſt le chemin qui conduiſoit à la Ville. Eſope les obligea premierement de ſe repoſer à l’ombre ; puis leur ayant preſenté une legere collation, il voulut eſtre leur guide, & ne les quitta qu’aprés qu’il les eut remis dans leur chemin. Les bonnes gens leverent les mains au Ciel, & prierent Jupiter de ne pas laiſſer cette action charitable ſans recompenſe. A peine Eſope les eut quittez, que le chaud & la laſſitude le contraignirent de s’endormir. Pendant ſon ſommeil il s’imagina que la Fortune eſtoit debout devant luy, qui luy délioit la langue, & par meſme moyen luy faiſoit preſent de cet Art, dont on peut dire qu’il eſt l’Auteur. Réjoüy de cette avanture, il s’éveilla en ſurſaut ; & en s’éveillant : Qu’eſt-cecy, dit-il, ma voix eſt devenuë libre ? je prononce bien un raſteau, une charuë, tout ce que je veux. Cette merveille fut cauſe qu’il changea de Maiſtre. Car comme un certain Zenas, qui eſtoit là en qualité d’Oeconome, & qui avoit l’œil ſur les Eſclaves, en eut battu un outrageuſement pour une