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s’est servi très heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu’il est nécessaire qu’un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la naissance, c’est l’exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins ; quand vous le considérez qui regarde sans s’étonner l’agitation de l’Europe et les machines qu’elle remue pour le détourner de son entreprise ; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d’une province où l’on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu’il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes ; quand, non content de dompter les hommes, il veut aussi triompher des éléments ; et quand, au retour de cette expédition, où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l’impuissance de vos années ; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l’amour de cette divine maîtresse. Vous ne l’attendez pas, Monseigneur ; vous le prévenez. Je n’en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d’esprit, de courage et de grandeur d’âme que vous faites paraître à tous les moments. Certainement c’est une joie bien sensible à notre monarque, mais c’est un spectacle bien agréable pour l’univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrais m’étendre sur ce sujet ; mais comme le dessein que j’ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables et n’ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c’est, Monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très humble, très obéissant
et très fidèle serviteur,
De la Fontaine.