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Il fait tout ce qu’il peut pour éviter cette eau :
Mais quoi ! le canal est si beau
Qu’il ne le quitte qu’avec peine.

On voit bien où je veux venir.
Je parle à tous ; et cette erreur extrême
Est un mal que chacun se plaît d’entretenir.
Notre âme, c’est cet homme amoureux de lui-même ;
Tant de miroirs, ce sont les sottises d’autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes ;
Et quant au canal, c’est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.

XII

LE DRAGON À PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON À PLUSIEURS
QUEUES

Un envoyé du Grand Seigneur
Préférait, dit l’histoire, un jour chez l’empereur,
Les forces de son maître à celles de l’empire.
Un Allemand se mit à dire :
Notre prince a des dépendants
Qui, de leur chef, sont si puissants
Que chacun d’eux pourrait soudoyer une armée.
Le chiaoux[1], homme de sens,
Lui dit : Je sais par renommée
Ce que chaque électeur peut de monde fournir ;
Et cela me fait souvenir
D’une aventure étrange, et qui pourtant est vraie.
J’étais en un lieu sûr, lorsque je vis passer

  1. Fonctionnaire turc chargé de porter les ordres du sultan.