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Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

XI

L’HOMME ET SON IMAGE

POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD[1]

Un homme qui s’aimait sans avoir de rivaux
Passait dans son esprit pour le plus beau du monde :
Il accusait toujours les miroirs d’être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux
Présentait partout à ses yeux
Les conseillers muets dont se servent nos dames :
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer,
N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure.
Mais un canal formé par une source pure
Se trouve en ces lieux écartés :
Il se voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.

  1. François, duc de la Rochefoucauld, né en 1613, et mort en 1680. Il est célèbre par son ouvrage des Réflexions et maximes morales.