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Elle gémit à tous moments :
Son propre don fait son supplice.

Voilà le train du monde et de ses sectateurs :
On s’y sert du bienfait contre les bienfaiteurs.
Je suis las d’en parler. Mais que de doux ombrages
Soient exposés à ces outrages,
Qui ne se plaindrait là-dessus ?
Hélas ! j’ai beau crier et me rendre incommode,
L’ingratitude et les abus
N’en seront pas moins à la mode.


XVII

LE RENARD, LE LOUP ET LE CHEVAL

Un renard jeune encor, quoique des plus madrés,
Vit le premier cheval qu’il eût vu de sa vie.
Il dit à certain loup, franc novice : Accourez,
Un animal paît dans nos prés.
Beau, grand, j’en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous ? dit le loup en riant.
Fais-moi son portrait, je te prie.
Si j’étais quelque peintre ou quelque étudiant,
Repartit le renard, j’avancerais la joie
Que vous aurez en le voyant.
Mais venez. Que sait-on ? peut-être est-ce une proie
Que la fortune nous envoie.
Ils vont ; et le cheval, qu’à l’herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d’enfiler la venelle[1].

  1. Le mot venelle signifie sentier étroit, et la locution enfiler la venelle est employée ici par la Fontaine dans le sens de fuir.