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Un milan, de son nid antique possesseur,
Étant pris vif par un chasseur,
D’en faire au prince un don cet homme se propose.
La rareté du fait donnait prix à la chose.
L’oiseau, par le chasseur humblement présenté,
Si ce conte n’est apocryphe,
Va tout droit imprimer sa griffe
Sur le nez de sa majesté. —
Quoi ! sur le nez du roi ? — Du roi même en personne. —
Il n’avait donc alors ni sceptre ni couronne ?
Quand il en aurait eu, c’aurait été tout un :
Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs et la peine
Serait se consumer en efforts impuissants.
Le roi n’éclata point : les cris sont indécents
À la majesté souveraine.
L’oiseau garda son poste : on ne put seulement
Hâter son départ d’un moment.
Son maître le rappelle, et crie, et se tourmente,
Lui présente le leurre, et le poing, mais en vain,
On crut que jusqu’au lendemain
Le maudit animal à la serre insolente
Nicherait là malgré le bruit,
Et sur le nez sacré voudrait passer la nuit.
Tâcher de l’en tirer irritait son caprice.
Il quitte enfin le roi, qui dit : Laissez aller
Ce milan, et celui qui m’a cru régaler.
Ils se sont acquittés tous deux de leur office,
L’un en milan, et l’autre en citoyen des bois :
Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois,
Je les affranchis du supplice.
Et la cour d’admirer. Les courtisans ravis
Élèvent de tels faits, par eux si mal suivis :