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Et que de tout berger, comme de tout mouton,
Les connaissances soient bornées ?
L’avis de celui-ci fut d’abord trouvé bon
Par les trois échoués aux abords de l’Amérique.
L’un, c’était le marchand, savait l’arithmétique :
A tant par mois, dit-il, j’en donnerai leçon.
J’enseignerai la politique,
Reprit le fils du roi. Le noble poursuivit :
Moi je sais le blason ; j’en veux tenir école ;
Comme si, devers l’Inde, on eût eu dans l’esprit
La sotte vanité de ce jargon frivole !
Le pâtre dit : Amis, vous parlez bien ; mais quoi !
Le mois a trente jours : jusqu’à cette échéance
Jeûnerons-nous, par votre foi ?
Vous me donnez une espérance
Belle, mais éloignée ; et cependant j’ai faim.
Qui pourvoira de nous au dîner de demain ?
Ou plutôt sur quelle assurance
Fondez-vous, dites-moi, le souper d’aujourd’hui ?
Avant tout autre, c’est celui
Dont il s’agit. Votre science
Est courte là-dessus : ma main y suppléera.
À ces mots le pâtre s’en va
Dans un bois : il y fit des fagots, dont la vente,
Pendant cette journée et pendant la suivante,
Empêcha qu’un long jeûne à la fin ne fît tant
Qu’ils allassent là-bas exercer leur talent.

Je conclus de cette aventure
Qu’il ne faut pas tant d’art pour conserver ses jours ;
Et, grâce aux dons de la nature,
La main est le plus sûr et le plus prompt secours.

fin du dixième livre