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Que ne vous taisez-vous aussi ? —
Moi, me taire ! moi malheureuse !
Ah ! j’ai perdu mon fils ! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse ! —
Dites-moi, qui vous force à vous y condamner ? —
Hélas ! c’est le Destin qui me hait. — Ces paroles
Ont été de tout temps en la bouche de tous.

Misérables humains, ceci s’adresse à vous !
Je n’entends résonner que des plaintes frivoles.
Quiconque, en pareil cas, se croit haï des cieux,
Qu’il considère Hécube[1], il rendra grâce aux dieux.


XIV

LES DEUX AVENTURIERS ET LE TALISMAN

Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire.
Je n’en veux pour témoin qu’Hercule et ses travaux :
Ce dieu n’a guère de rivaux ;
J’en vois peu dans la fable, encor moins dans l’histoire.
En voici pourtant un, que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des romans.
Il voyageait de compagnie.
Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau :
« Seigneur aventurier, s’il te prend quelque envie
« De voir ce que n’a vu nul chevalier errant,
« Tu n’as qu’à passer ce torrent ;
« Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre
« Que tu verras couché par terre ;

  1. Cette reine, femme de Priam, après avoir vu périr sous ses yeux son mari et ses enfants, fut emmenée en esclavage après la chute de Troie.