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Le bel état où me voici !
Devant les autres chiens oserai-je paraître ?
Ô rois des animaux, ou plutôt leurs tyrans,
Qui vous ferait choses pareilles !
Ainsi criait Mouflar, jeune dogue ; et les gens,
Peu touchés de ses cris douloureux et perçants,
Venaient de lui couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyait perdre. Il vit avec le temps
Qu’il y gagnait beaucoup ; car, étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure
L’aurait fait retourner chez lui
Avec cette partie en cent lieux altérée :
Chien hargneux a toujours l’oreille déchirée.

Le moins qu’on peut laisser de prise aux dents d’autrui,
C’est le mieux. Quand on n’a qu’un endroit à défendre,
On le munit, de peur d’esclandre.
Témoin maître Mouflar armé d’on gorgerin[1];
Du reste ayant d’oreille autant que sur ma main,
Un loup n’eût su par où la prendre.


X

LE BERGER ET LE ROI

Deux démons à leur gré partagent notre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison ;
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie :
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J’appelle l’un, Amour, et l’autre, Ambition.
Cette dernière étend le plus loin son empire ;
Car même elle entre dans l’amour.
Je le ferais bien voir : mais mon but et de dire

  1. Collier.