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Mais rapportons-nous-en. Soit fait, dit le reptile.
Une vache était là : l’on appelle ; elle vient :
Le cas est proposé. C’était chose facile :
Fallait-il pour cela, dit-elle, m’appeler ?
La couleuvre a raison ; pourquoi dissimuler ?
Je nourris celui-ci depuis longues années ;
Il n’a sans mes bienfaits passé nulles journées ;
Tout n’est que pour lui seul ; mon lait et mes enfants
Le font à la maison revenir les mains pleines :
Même j’ai rétabli sa santé, que les ans
Avaient altérée ; et mes peines
Ont pour but son plaisir ainsi que son besoin.
Enfin me voilà vieille ; il me laisse en un coin
Sans herbe : s’il voulait encor me laisser paître !
Mais je suis attachée : et si j’eusse eu pour maître
Un serpent, eût-il su jamais pousser si loin
L’ingratitude ? Adieu : j’ai dit ce que je pense.
L’homme tout étonné d’une telle sentence,
Dit au serpent : Faut-il croire ce qu’elle dit !
C’est une radoteuse ; elle a perdu l’esprit.
Croyons ce bœuf. Croyons, dit la rampante bête.
Ainsi dit, ainsi fait. Le bœuf vient à pas lents,
Quand il eut ruminé tout le cas en sa tête,
Il dit que du labeur des ans
Pour nous seuls il portait les soins les plus pesants,
Parcourant sans cesser ce long cercle de peines
Qui revenant sur soi, ramenait dans nos plaines
Ce que Cérès nous donne, et vend aux animaux ;
Que cette suite de travaux
Pour récompense avait, de tous tant que nous sommes,
Force coups, peu de gré : puis, quand il était vieux,
On croyait l’honorer chaque fois que les hommes
Achetaient de son sang l’indulgence des dieux.