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II

L’HOMME ET LA COULEUVRE

Un homme vit une couleuvre :
Ah ! méchante, dit-il, je m’en vais faire une œuvre
Agréable à tout l’univers !
À ces mots l’animal pervers
(C’est le serpent que je veux dire,
Et non l’homme ; on pourrait aisément s’y tromper),
À ces mots le serpent, se laissant attraper,
Est pris, mis en un sac ; et, ce qui fut le pire,
On résolut sa mort, fût-il coupable ou non.
Afin de le payer toutefois de raison,
L’autre lui fit cette harangue :
Symbole des ingrats ! être bon aux méchants,
C’est être sot ; meurs donc : ta colère et tes dents
Ne me nuiront jamais. Le serpent, en sa langue,
Reprit du mieux qu’il put : S’il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
À qui pourrait-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès : je me fonde
Sur tes propres leçons ; jette les yeux sur toi.
Mes jours sont en tes mains, tranche-les : ta justice,
C’est ton utilité, ton plaisir, ton caprice :
Selon ces lois, condamne-moi ;
Mais trouve bon qu’avec franchise
En mourant au moins je te dise
Que le symbole des ingrats
Ce n’est point le serpent, c’est l’homme. Ces paroles
Firent arrêter l’autre ; il recula d’un pas.
Enfin il repartit : Tes raisons sont frivoles.
Je pourrais décider, car ce droit m’appartient ;