Page:La Fontaine - Fables, Bernardin-Bechet, 1874.djvu/328

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais un bramin[1] le fit : je le crois aisément ;
Chaque pays a sa pensée.
La souris était fort froissée.
De cette sorte de prochain
Nous nous soucions peu ; mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête
Que notre âme, au sortir d’un roi,
Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu’il plaît au Sort : c’est là l’un des points de leur loi.
Pythagore chez eux a puisé ce mystère.
Sur un tel fondement, le bramin crut bien faire
De prier un sorcier qu’il logeât la souris
Dans un corps qu’elle eût eu pour hôte au temps jadis.
Le sorcier en fit une fille
De l’âge de quinze ans, et telle et si gentille
Que le fils de Priam pour elle aurait tenté
Plus encor qu’il ne fit pour la grecque beauté.
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :
Vous n’avez qu’à choisir ; car chacun est jaloux
De l’honneur d’être votre époux.
En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous.
Soleil, s’écria lors le bramin à genoux,
C’est toi qui seras notre gendre.
Non, dit-il, ce nuage épais
Est plus puissant que moi, puisqu’il cache mes traits ;
Je vous conseille de le prendre.
Hé bien ! dit le bramin au nuage volant,
Es-tu né pour ma fille ? — Hélas ! non ; car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée ;
Je n’entreprendrai point sur les droits de Borée.

  1. Prêtre de Brahma.