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Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours il détourne l’enfant
Du perfide voisin ; puis à souper convie
Le père, qui s’excuse, et lui dit en pleurant :
Dispensez-moi, je vous supplie ;
Tous plaisirs pour moi sont perdus.
J’aimais un fils plus que ma vie :
Je n’ai que lui ; que dis-je ? hélas ! je ne l’ai plus !
On me l’a dérobé : plaignez mon infortune.
Le marchand repartit : Hier au soir sur la brune,
Un chat-huant s’en vint votre fils enlever ;
Vers un vieux bâtiment je le lui vis porter.
Le père dit : Comment voulez-vous que je croie
Qu’un hibou pût jamais emporter cette proie ?
Mon fils en un besoin eût pris le chat-huant.
Je ne vous dirai point, reprit l’autre, comment :
Mais enfin je l’ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je ;
Et ne vois rien qui vous oblige
D’en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d’un pays
Où le quintal de fer par un seul rat se mange
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent ?
L’autre vit où tendait cette feinte aventure :
Il rendit le fer au marchand,
Qui lui rendit sa géniture[1].

Même dispute advint entre deux voyageurs.
L’un d’eux était de ces conteurs
Qui n’ont jamais rien vu qu’avec un microscope ;
Tout est géant chez eux : écoutez-les, l’Europe,
Comme l’Afrique, aura des monstres à foison.

  1. Son fils.