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Ta portion accoutumée :
Il ne saurait tarder beaucoup.
Sur ces entrefaites un loup
Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.
L’âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge, et dit : Ami, je te conseille
De fuir en attendant que ton maître s’éveille ;
Il ne saurait tarder : détale vite, et cours.
Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :
On t’a ferré de neuf ; et, si tu me veux croire,
Tu l’étendras tout plat. Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.


XVIII

LE BASSA ET LE MARCHAND

Un marchand grec en certaine contrée
Faisait trafic. Un bassa[1] l’appuyait ;
De quoi le Grec en bassa le payait,
Non en marchand : tant c’est chère denrée,
Qu’un protecteur ! celui-ci coûtait tant
Que notre Grec s’allait partout plaignant.
Trois autres Turcs, d’un rang moindre en puissance,
Lui vont offrir leur support en commun.
Eux trois voulaient moins de reconnaissance
Qu’à ce marchand il n’en coûtait pour un.
Le Grec écoute ; avec eux il s’engage ;
Et le bassa du tout est averti :
Même on lui dit qu’il jouera, s’il est sage,
À ces gens-là quelque méchant parti,

  1. Un pacha.