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Prendre le soin d’une maison
En tout temps couverte de neige ;
Et d’Indou qu’il était on vous le fait Lapon.
Avant que de partir, l’esprit dit à ses hôtes :
On m’oblige de vous quitter ;
Je ne sais pas pour quelles fautes :
Mais enfin il le faut. Je ne puis arrêter
Qu’un temps fort court, un mois, peut-être une semaine :
Employez-la ; formez trois souhaits : car je puis
Rendre trois souhaits accomplis ;
Trois, sans plus. Souhaiter, ce n’est pas une peine
Étrange et nouvelle aux humains.
Ceux-ci, pour premier vœu, demandent l’abondance ;
Et l’abondance à pleines mains
Verse en leurs coffres la finance,
En leurs greniers le blé, dans leurs caves les vins :
Tout en crève. Comment ranger cette chevance[1] ?
Quels registres, quels soins, quel temps il leur fallut !
Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.
Les voleurs contre eux complotèrent ;
Les grands seigneurs leur empruntèrent ;
Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.
Ôtez-nous de ces biens l’affluence importune,
Dirent-ils l’un et l’autre : heureux les indigents !
La pauvreté vaut mieux qu’une telle richesse.
Retirez-vous, trésors ; fuyez : et toi, déesse,
Mère du bon esprit, compagne du repos,
Ô Médiocrité, reviens vite ! À ces mots
La Médiocrité revient. On lui fait place :
Avec elle ils rentrent en grâce,
Au bout de deux souhaits, étant aussi chanceux

  1. Ces biens, cette fortune.