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Voilà mes gens frappés comme d’un coup de foudre.
Le marché ne tint pas ; il fallut le résoudre :
D’intérêts contre l’ours, on n’en dit pas un mot.
L’un des deux compagnons grimpe au faîte d’un arbre ;
L’autre, plus froid que n’est un marbre,
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,
Ayant quelque part ouï dire
Que l’ours s’acharne peu souvent
Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire.
Seigneur ours, comme un sot, donna dans ce panneau :
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie ;
Et, de peur de supercherie,
Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire aux passages de l’haleine.
C’est, dit-il, un cadavre ; ôtons-nous, car il sent.
À ces mots, l’ours s’en va dans la forêt prochaine.
L’un de nos deux marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon, lui dit que c’est merveille
Qu’il n’ait eu seulement que la peur pour tout mal.
Eh bien ! ajouta-t-il, la peau de l’animal ?
Mais que t’a-t-il dit à l’oreille ?
Car il t’approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre.
Il m’a dit qu’il ne faut jamais
Vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis par terre.


XXI

L’ÂNE VÊTU DE LA PEAU DU LION

De la peau du lion l’âne s’étant vêtu
Était craint par tout à la ronde ;
Et bien qu’animal sans vertu,
Il faisait trembler tout le monde.