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Mais venons à la fable, ou plutôt à l’histoire
De celui qui tâcha d’unir tous ses enfants.

Un vieillard près d’aller où la mort l’appelait :
Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parlait),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble ;
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.
L’aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant : Je le donne aux plus forts.
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l’aventure.
Tous perdirent leur temps ; le faisceau résista :
De ces dards joints ensemble un seul ne s’éclata.
Faibles gens, dit le père, il faut que je vous montre
Ce que ma force peut en semblable rencontre.
On crut qu’il se moquait ; on sourit, mais à tort :
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.
Vous voyez, reprit-il, l’effet de la concorde :
Soyez joints, mes enfants, que l’amour vous accorde.
Tant que dura son mal, il n’eut autre discours.
Enfin se sentant près de terminer ses jours,
Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères ;
Adieu : promettez-moi de vivre comme frères ;
Que j’obtienne de vous cette grâce en mourant.
Chacun de ses trois fils l’en assure en pleurant.
Il prend à tous les mains ; il meurt. Et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d’affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès :
D’abord notre trio s’en tire avec succès.
Leur amitié fut courte autant qu’elle était rare
Le sang les avait joints ; l’intérêt les sépare :
L’ambition, l’envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.