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ÉPÎTRE DÉDICATOIRE
À MONSEIGNEUR LE DAUPHIN[1]

Monseigneur,

S’il y a quelque chose d’ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c’est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d’autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens[2] a jugé qu’ils n’y étaient pas inutiles. J’ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C’est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l’amusement et les jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L’apparence en est puérile, je le confesse ; mais ces puérilités servent d’enveloppes à des vérités importantes.

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables ; car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points ? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l’un avec l’autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître sans qu’elle s’aperçoive de cette étude, et tandis qu’elle croit faire tout autre chose. C’est une adresse dont s’est

  1. Louis, dauphin de France, fils aîné de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche, né à Fontainebleau le 1er novembre 1661, et mort à Meudon le 14 avril 1711.
  2. Socrate.