On en tient cent de nous : et pour une chanson
Où Belle Bouche est en renom,
Beaux Yeux le sont en plus de mille.
La Cour, le Parnasse, et la Ville
Ne retentissent tout le jour
Que du mot de Beaux Yeux et de celui d’Amour.
Dès que nous paraissons chacun nous rend les armes.
Quiconque nous appellerait
Enchanteurs, il ne mentirait
Tant est prompt l’effet de nos charmes.
Sous un masque trompeur leur éclat fait si bien,
Que maint objet tel quel, en plus d’une rencontre,
Par ce moyen passe à la montre :
On demande qui c’est ; et souvent ce n’est rien :
Cependant Beaux Yeux sont la cause
Qu’on prend ce rien pour quelque chose.
Belle Bouche dit : j’aime ; et le disons-nous pas ?
Sans aucun bruit : notre langage
Muet qu’il est, plaît davantage
Que ces perles, ce chant, et ces autres appas
Avec quoi Belle Bouche engage.
L’avocat de Beaux Yeux fit sa péroraison
Des regards d’une intervenante.
Cette belle approcha d’une façon charmante :
Puis il dit en changeant de ton :
J’amuse ici la Cour par des discours frivoles.
Ai-je besoin d’autres paroles
Que des yeux de Philis ? Juge regardez-les ;
Puis prononcez votre sentence ;
Nous gagnerons notre procez.
Philis eut quelque honte ; et puis sur l’assistance
Répandit des regards si remplis d’éloquence,
Que les papiers tombaient des mains.
Frappé de ces charmes soudains
L’auditoire inclinait pour Beaux Yeux dans son âme.
Belle Bouche, en faveur des regards de la Dame
Voyant que les esprits s’allaient préoccupant,
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