En la saison des violettes.
Je sais par cent moyens rendre heureux un amant :
Vous me dispenserez de vous dire comment.
S’il s’agit entre nous d’une conquête à faire,
On voit Beaux Yeux se tourmenter ;
Belle Bouche n’a qu’à parler :
Sans artifice elle sait plaire.
Quand Beaux Yeux sont fermés ce n’est pas grande affaire
Belle Bouche à toute heure étale des trésors :
Le nacre est en dedans, le corail en dehors.
Quand je daigne m’ouvrir, il n’est richesse égale.
Les présents que nous fait la rive orientale
N’approchent pas des dons que je prétends avoir :
Trente-deux perles se font voir,
Dont la moins belle et la moins claire
Passe celles que l’Inde à dans ses régions :
Pour plus de trente-deux millions
Je ne m’en voudrais pas défaire.
Belle Bouche ainsi harangua.
Un amant pour Beaux Yeux parla :
Et, comme on peut penser, ne manqua pas de dire
Que c’est par eux qu’Amour s’introduit dans les cœurs.
Pourquoi leur reprocher les pleurs ?
Il ne faut donc pas qu’on soupire.
Mais tous les deux sont bons ; belle Bouche a grand tort.
Il est des larmes de transport,
Il est des soûpirs au contraire
Qui fort souvent ne disent rien :
Belle souche n’entend pas bien
Pour cette fois-là son affaire.
Qu’elle se taise au nom des dieux
Des appas qui lui sont départis par les cieux :
Qu’a-t-elle sur ce point qui nous soit comparable ?
Nous savons plaire en cent façons,
Par l’éclat, la douceur, et cet art admirable
De tendre aux cœurs des hameçons.
Belle Bouche le blâme, et nous en faisons gloire.
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