Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 4.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À peine en verrois-tu mon ame moins troublée,
L’objet de mes mal-heurs me touche beaucoup plus.
Les Dieux nous vendent cher tous ces biens superflus,
Souvent par mille maux nous en payons l’usure.

Cherée

C’est que l’esprit humain en prend mal la mesure ;
Injuste en son estime autant qu’en ses desirs,
Il conte les douleurs, sans conter les plaisirs.

Pamphile

Ne me crois pas, Doris, d’une ame si legere,
Sans amis, sans parens, et par tout estrangere,
J’ay sujet de réver, et tu n’en verras point
Que le sort obstiné persecute à tel point.

Cherée

Chacun pense le mesme, et moy comme tout autre,
Le mal d’autruy n’est rien quand nous parlons du nostre.
Vous vous croyez en bute aux plus sensibles coups ;
Je sçais tel qui pourroit en dire autant que vous.
Celuy dont je vous parle est un autre moy-mesme ;
Il me ressemble assez, et souffre un mal extréme
Pour certaine beauté qui vous ressemble aussi,
Et qui fuit, comme vous, l’amour et son soucy.

Pamphile

Si j’estois cét amy, j’affranchirois mon ame
Des injustes liens de l’objet qui l’enflamme.

Cherée

Si vous estiez l’objet des vœux qu’il a conceus ?

Pamphile

Peut-estre qu’à la fin ses vœux seroient receus.

Cherée

Qui vous diroit cecy pour preparer vostre ame ?
Tout de bon, si quelqu’un vous découvroit sa flâme,
N’estant rien icy bas qui ne puisse arriver
(J’entens à quelque fin que l’on doive approuver),