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(Ay-je respondu lors), et ton cœur abatu
Manque-t-il au besoin d’adresse et de vertu ?
Compare à ce tein frais ta peau noire et flestrie ;
J’ay tout, et je n’ay rien que par mon industrie.
À moins que d’en avoir pour gagner un repas,
Les morceaux tout rotis ne te chercheront pas.
En fin veux-tu disner n’ayant plus de marmite,
Imite mon exemple, et fay toy Parasite ;
Tu ne sçaurois choisir un plus nombre mestier.
Gardez-en (m’a-t-il dit) le profit tout entier ;
On ne m’a jamais veu ny flatteur, ny parjure :
Je ne sçaurois souffrir ny de coup, ny d’injure ;
Et, lors que j’ay d’un bras senty la pesanteur,
Je n’en suis point ingrat envers mon bien-faicteur.
D’ailleurs faire l’Agent, et d’amour s’entremettre,
Couleur dans une main le present et la lettre,
Preparer les logis, faire le compliment,
Quand Monsieur est entré, sortir adroitement,
Avoir soin que tousjours la porte soit fermée,
Et manger, comme on dit, son pain à la fumée,
C’est ce que je ne puis ny ne veux pratiquer.
Adieu. Moy de sourire, et luy de s’en piquer.
Il s’en trouver (ay-je dit) qu’à bien moins on oblige,
Et c’est là le vieux jeu qu’à present je corrige.
On voit parmy le monde un tas de sottes gens
Qui briguent des flatteurs les discours obligeans :
Ceux-là me duisent fort, je fuis ceux qui sont chiches,
Et cherche les plus sots, quand ils sont les plus riches.
Je les repais de vent que je mets à haut pris ;
Prens garde à ce qui peut allecher leurs esprits ;
Sçais tousjours applaudir, jamais ne contredire ;
Estre de tous avis, en rien ne les dédire ;
Du blanc donner au noir la couleur et le nom ;
Dire sur mesme point tantost oüy, tantost non.
Ce sont icy leçons de la plus fine estoffe.
Je commente cet art, et j’y suis philosophe :
Le livre que j’en fais aura, sans contredit,
Plus que ceux de Platon, de vogue et de credit.