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Thrason, nostre soldat, battu par la tempeste,
Au port des Thodiens jette l’ancre et s’arreste,
Va voir nostre famille, y trouve encor le deuil,
Mes parens depuis peu renfermez au cercueil,
Mon oncle ayant mes biens, cette fille adoptive
Preste d’estre venduë, et traittée en captive.
Il l’achete aussi-tost pour me la redonner,
Revient en ce païs, où quelque Parasite
Luy dit qu’en son absence on me rendoit visite ;
Que, s’il avoit dessein de me donner ma sœur,
Le present meritoit quelque insigne faveur.

Phœdrie

Ne vaudra-t-il pas mieux qu’on luy laisse Pamphile ?

Thaïs

Je me resous à suivre un conseil plus utile.
Vous sçavez qu’en ce lieu je n’ay point de parens,
Qu’il me peut chaque jour naistre cent differens ;
Et bien que vous preniez contre tous ma défence,
Souvent un contre tous peut manquer de puissance :
Souffrez donc que je cherche un appuy loin des miens.
Je n’en sçaurois trouver qu’en la rendant aux siens.
Je ne puis l’obtenir sans quelque complaisance :
Il faut donc vous priver deux jours de ma presence,
La peine en est legere, et ce temps achevé,
Le reste vous sera tout entier conservé.
Gagne cela sur toy, de grace, je t’en prie.
Tu ne me respons rien, dy moy, mon cher Phœdrie ?

Phœdrie

Que pourrois-je respondre (ingrate) à ces propos ?
Voyez, voyez Thrason ; je vous laisse en repos ;
Faites luy la faveur qu’un autre a meritée :
C’est où tend cette histoire assez bien inventée.
Une fille Inconnuë est prise en certains lieux ;
On nous en fait present, elle charme nos yeux ;
Thrason vient à m’aymer, vous me rendez visite ;