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Sçavante en l’art des pleurs, comme en l’art de mentir.
Et n’accusez que vous si Thaïs en abuse,
Qui, dés le premier mot de pardon et d’excuse,
Luy direz bonnement l’estat de vostre cœur ;
Que bien-tost du dépit l’amour s’est fait vainqueur,
Que vous en seriez mort s’il avoit falu feindre.
Quoy ! deux jours sans vous voir ? Ah ! c’est trop se contraindre,
Je n’en puis plus, Thaïs : vous estes mon desir,
Mon seul objet, mon tout ; loing de vous, quel plaisir ?
Cela dit, c’en est fait, vostre perte est certaine ;
Cette femme aussi-tost, fine, adroite et hautaine,
Sçaura mettre à profit vostre peu de vertu,
Et triompher de vous, vous voyant abbatu.
Vous n’en pourrez tirer que des promesses vaines,
Point de soulagement ni de fin dans vos peines,
Rien que discours trompeurs, rien que feux inconstans.
C’est pourquoy songez-y tandis qu’il en est temps :
Car, estant rembarqué, pretendre qu’elle agisse
Plus selon la raison que selon son caprice
C’est fort mal reconnoistre et son sexe et l’amour ;
Ce ne sont que procés, que querelles d’un jour,
Que tréves d’un moment, ou quelque paix fourrée,
Injure aussi-tost faite, aussi-tost reparée,
Soupçons sans fondement, enfin rien d’asseuré.
Il vaut mieux n’aymer plus, tout bien consideré.

Phœdrie

L’amour a ses plaisirs aussi bien que ses peines.

Parmenon

Appellez-vous ainsi des faveurs incertaines ?
Et si pres de l’affront qui vous vient d’arriver,
Faites-vous cas d’un bien qu’on ne peut conserver ?

Phœdrie

Si Thaïs dans sa flâme eust eu de la constance,
J’eusse estimé ce bien plus encor qu’on ne pense ;
Et, bornant mes desirs dans sa possession,
J’aurois jusqu’à l’Hymen porté ma passion.