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Psiché.

quent plus cruel. Peut estre mesme ne faloit-il pas qu’elle soüillast de son sang ces Rochers. Sçavoit-elle si son mary ne les avoit point destinez à un usage tout oppose ? Ce pouvoit estre une retraite amoureuse. où l’Infant de Cypre, craignant sa mere, logeoit secretement ses maistresses, comme il y avoit logé son épouse ; car le lieu estoit écarté et inaccessible : ainsi elle auroit commis un sacrilege, si elle avoit fait servir, à son desespoir ce qui ne servoit qu’aux plaisirs.

Voila comme raisonnoit la pauvre Psiché, ingenieuse à se procurer du mal, mais bien éloignée de l’intention qu’avoit eüe l’Amour, à qui cet endroit où la belle se trouvoit alors estoit venu fortuitement dans l’esprit, ou qu} peut-estre l’avoit laissg A la discretion au Zephire. II’vouloit la faire souffrir, tant s n faut qu II exlgeast d elle une mort si prompte. Dans cette pensée, il défendit au Zephire de la quitter, (pour quelque occasion que ce fust, quand mesme Flore. luy auroit donn& un rendez-vous) tant que cette premiere violence eust jetté son feu.

Je me suis estonné cent lois comme le Zephire n’en devint pas amoureux. Il est vray que Flore a bien du merite : puis de courir sur les pas d’un maistre comme l’Amour, c’eust esté à luy une perfidie trop grande, et mesme inutile. Ayant donc l’œil incessamment sur Psiché, et luy voyant regarder le fleuve d’une maniere route pitoyable, il se douta de quelque nouvelle pensée de desespoir ; et, pour n’estre pas surpris encore une fois, il en avertit aussi-tost le Dieu de ce fleuve, qui, de bonne fortune, tenoit sa cour à deux pas de là, et qui avoit alors aupràs de luy la meilleure partie de ses Nymphes.

Ce Dieu estoit d’un temperament froid, et ne se soucioit pas beaucoup d’obliger la Belle ny son mary. Neantmoins, la crainte qu’il eut que les Poëtes ne le diffamassent si la premiere beaute du monde, fille de Roy, et femme d’un Dieu, se noyoit chez luy, et ne l’appelassent Frere du Stix ; cette crainte, dis-je,