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DEUXIESME PARTIE.
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Qui vous vantez d’estre si bien loties,
Avoir troqué de Galant ny d’Epoux.
Sur ce debat la troisiéme Commere
Les mit d’accord ; car elle fut d’avis
Qu’Amour se plaist avec les bons maris,
Et veut aussi quelque peine legere.
Ce point vuidé, le propos s’échauffant,
Et d’en conter toutes trois triomphant,
Celle-cy dit: Pourquoy tant de paroles ?
Voulez-vous voir qui l’emporte de nous ?
Laissons à part les disputes frivoles :
Sur nouveaux faits attrapons nos Epoux ;
Le moins bon tour payera quelque amande.
Nous le voulons, c’est ce que l’on demande
Dirent les deux. Il faut faire serment,
Que toutes trois, sans nul déguisement,
Rapporterons, l’affaire estant passée,
Le cas au vray ; puis pour le jugement
On en croira la Commere Macée.
Ainsi fut dit, ainsi l’on l’accorda.
Voici comment chacune y proceda :
Celle des trois qui plus estoit contrainte
Aimoit alors un beau jeune garçon,
Frais, delicat, et sans poil au menton,
Ce qui leur fit mettre en jeu cette feinte :
Les pauvres gens n’avoient de leurs Amours
Encor joüy, sinon par échapées ;
Toûjours faloit forger de nouveaux tours,
Toûjours chercher des maisons empruntées.
Pour plus à l’aise ensemble se joüer,
La bonne Dame habille en chambriere
Le jouvenceau, qui vient pour se loüer,
D’un air modeste, et baissant la paupiere.
Du coin de l’œil l’Epoux le regardoit,
Et dans son cœur déja se proposoit
De rehausser le linge de la fille.
Bien luy sembloit, en la considerant,
N’en avoir veu jamais de si gentille.