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DEUXIESME PARTIE.

Pleine de suc, et donnant appetit ;
Ce qu’on appelle en François bonne robbe.
Par un beau jour cet homme se dérobe
D’avec sa femme, et d’un trés-grand matin
S’en va trouver sa Servante au jardin.
Elle faisoit un bouquet pour Madame :
C’estoit sa feste. Voyant donc de la femme[1]
Le bouquet fait, il commence à loüer
L’assortiment ; tâche à s’insinüer :
S’insinüer, en fait de Chambriere,
C’est proprement couler sa main au sein,
Ce qui fut fait. La Servante soudain
Se défendit : mais de quelle maniere ?
Sans rien gaster : c’estoit une façon
Sur le marché ; bien sçavoit sa leçon.
La Belle prend les fleurs qu’elle avoit mises
En un monceau, les jette au Compagnon.
Il la baisa pour en avoir raison :
Tant et si bien qu’ils en vinrent aux prises.
En cet étrif la Servante tomba.
Luy d’en tirer aussi-tost avantage.
Le mal-heur fut que tout ce beau ménage
Fut découvert d’un logis prés de là.
Nos gens n’avoient pris garde à cette affaire.
Une voisine apperceut le mystere ;
L’Epoux la vit, je ne sçais pas comment.
Nous voilà pris, dit-il à sa Servante,
Nostre voisine est languarde et méchante ;
Mais ne soyez en crainte aucunement.
Il va trouver sa femme en ce moment,
Puis fait si bien que s’estant éveillée
Elle se leve, et, sur l’heure habillée,
Il continuë à joüer son rollet,

  1. Édition de 1668 :
    C’estoit sa feste. Voyant donc de sa femme.
    Ce vers a été ainsi corrigé dans les éditions modernes :
    C’estoit sa feste. Or voyant de la femme.