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DEUXIESME PARTIE.

Pour te combler son bon destin voulut
Qu’on attrapast les Quidams ce jour mesme,
Incontinent chez te Juge il courut.
Il faut user de diligence extrême
En pareil cas ; car le Greffe tient bon,
Quand une fois il est saisi des choses :
C’est proprement la caverne au Lion[1] ;
Rien n’en revient : là les mains ne sont closes
Pour recevoir, mais pour fendre trop bien :
Fin celuy-là qui n’y laisse du sien.
Le procez fait, une belle potence
A trois costés fut mise en plein marché :
L’un des Quidams harangua l’assistance
Au nom de tous, et le Trio branché
Mourut contrit et fort bien confessé.
Aprés cela, doutez de la puissance
Des Oraisons, dira quelqu’un de ceux[2]
Dont j’ay parlé ; trois gens par devers eux
Ont un roussin, et nombre de pistoles :
Qui n’auroit cru ces gens-là fort chanceux ?
Aussi font-ils florés et caprioles
(Mauvais presage) et, tout gais et joyeux,
Sont sur le point de partir leur chevance,
Lors qu’on les vient prier d’une autre danse.
En contr’eschange, un pauvre mal-heureux
S’en va perir selon toute apparence,
Quand sous la main luy tombe une beauté
Dont un Prelat se seroit contenté ;

  1. Voyez la fable XIV du livre VI.
  2. Nous nous en tenons scrupuleusement, comme nous l’avons déjà dit, au texte publié par l’auteur lui-même. A partir de l’édition de 1685, ce vers est ainsi modifié :
    Des Oraisons, ces gens gais et joyeux…
    Et les cinq qui suivent ici sont supprimés. Est-ce La Fontaine qui a fait ce changement ? Il est permis d’en douter ; la narration est ainsi plus vive, mais que signifie « on les vient prier d’une autre danse » si l’on retranche les « caprioles » des voleurs ?