Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
CONTES ET NOUVELLES.

Pleine d’appas, jeune, et de bonne grace.
Certain Marquis, Gouverneur de la place,
L’entretenoit ; et de peur d’estre veu,
Troublé, distrait, enfin interrompu
Dans son commerce au logis de la Dame,
Il se rendoit souvent chez cette femme
Par une porte aboutissante aux champs ;
Alloit, venoit, sans que ceux de la ville
En sceussent rien, non pas mesme ses gens.
Je m’en estonne, et tout plaisir tranquille
N’est d’ordinaire un plaisir de Marquis :
Plus il est sceu, plus il leur semble exquis.
Or il avint que la mesme soirée
Où nostre Job, sur la paille estendu,
Tenoit déja sa fin toute asseurée,
Monsieur estoit de Madame attendu ;
Le soupé prest, la chambre bien parée ;
Bons restaurans, champignons et ragousts,
Bains et parfums, matelats blancs et mous,
Vins du coucher, toute l’Artillerie
De Cupidon, non pas le langoureux,
Mais celuy-là qui n’a fait en sa vie
Que de bons tours, le Patron des heureux,
Des joüissans. Estant donc la Donzelle
Preste à bien faire, avint que le Marquis
Ne pût venir : elle en receut l’avis
Par un sien Page, et de cela la Belle
Se consola : tel estoit leur marché.
Renaud y gagne : il ne fut écouté
Plus d’un moment, que pleine de bonté,
Cette servante et confite en tendresse,
Par avanture, autant que sa Maistresse
Dit à la Veuve : Un pauvre souffreteux
Se plaint là bas, le froid est rigoureux,
Il peut mourir : Vous plaist-il pas, Madame,
Qu’en quelque coin l’on le mette à couvert ?
Oüy, je le veux, répondit cette femme.
Ce galetas qui de rien ne nous sert