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CONTES ET NOUVELLES.

Reprit Renaud, et j’y mettrois ma vie :
Pourveu qu’alliez en quelque Hostellerie ;
Car je n’ay là nulle maison d’ami.
Nous mettrons donc cette clause au pari,
Poursuivit-il, si l’avez agreable :
C’est la raison. L’autre luy répondit
J’en suis d’accord ; et gage vostre habit,
Vostre cheval, la bourse au prealable,
Seur de gagner, comme vous allez voir.
Renaud dés-lors pût bien s’appercevoir
Que son cheval avoit changé d’étable.
Mais quel remede ? En costoyant un bois,
Le Parieur ayant changé de voix :
Ça, descendez, dit-il, mon Gentil-homme ;
Vostre Oraison vous fera bon besoin ;
Chasteau-Guillaume est encore un peu loin.
Fallut descendre. Ils luy prirent, en somme,
Chapeau, casaque, habit, bourse et cheval ;
Bottes aussi. Vous n’aurez tant de mal
D’aller à pied, luy dirent les perfides.
Puis de chemin (sans qu’ils prissent de guides)
Changeant tous trois, ils furent aussitost
Perdus de veuë ; et le pauvre Renaud,
En caleçons, en chausses, en chemise,
Moüillé, fangeux, ayant au nez la bise,
Va tout dolent, et craint avec raison
Qu’il n’ait, ce coup, mal-gré son Oraison,
Trés-mauvais giste ; horsmis qu’en sa valise
Il esperoit : car il est à noter
Qu’un sien Valet, contraint de s’arrester
Pour faire mettre un fer à sa monture,
Devoit le joindre. Or il ne le fit pas,
Et ce fut là le pire de l’avanture :
Le Drôle ayant veu de loin tout le cas
(Comme Valets souvent ne valent gueres)
Prend à costé, pourvoit à ses affaires,
Laisse son Maistre, à travers champs s’enfüit,
Donne des deux, gagne devant la nuit