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DEUXIESME PARTIE.

De certains mots, caracteres, brevets,
Dont les aucuns ont de trés-bons effets ;
Comme de faire aux insectes la guerre,
Charmer les loups, conjurer le tonnerre :
Ainsi du reste ; où sans pact ny demy
(Dequoy l’on soit pour le moins averty)
L’on se guerit, l’on guerit sa monture,
Soit du farcin, soit de la mémarchure ;
L’on fait souvent ce qu’un bon Medecin
Ne sçauroit faire avec tout son latin.
Ces survenans de mainte experience
Se vantoient tous, et Renaud en silence
Les écoutoit. Mais vous, ce luy dit-on,
Scavez-vous point aussi quelque Oraison ?
De tels secrets, dit-il, je ne me pique,
Comme homme simple et qui vis à l’antique.
Bien vous diray qu’en allant par chemin
J’ay certains mots que je dis au matin
Dessous le nom d’Oraison ou d’Antienne
De S. Julien, afin qu’il ne m’avienne
De mal gister : et j’ay mesme éprouvé,
Qu’en y manquant cela m’est arrivé.
J’y manque peu : c’est un mal que j’évite
Par-dessus tous, et que je crains autant.
Et ce matin, Monsieur, l’avez vous dite ?
Luy repartit l’un des trois en riant.
Oüy, dit Renaud. Or bien, repliqua l’autre,
Gageons un peu quel sera le meilleur,
Pour ce jourd’huy, de mon giste ou du vostre.
Il faisoit lors un froid plein de rigueur.
La nuit de plus estoit fort approchante,
Et la couchée encore assez distante.
Renaud reprit : Peut-estre ainsi que moy
Vous servez-vous de ces mots en voyage.
Point, luy dit l’autre, et vous jure ma Foy
Qu’invoquer Saints n’est pas trop mon usage ;
Mais si je perds, je le pratiqueray.
En ce cas là volontiers gageray,