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CONTES ET NOUVELLES.

Il ne départ à gens de tous estats
Mesmes talens. Un Empereur auguste
A les vertus propres pour commander :
Un Avocat sçait les points decider[1] :
Au jeu d’Amour le Muletier fait rage.
Chacun son fait ; nul n’a tout en partage.
Nostre Galant, s’estant diligenté,
Se retira sans bruit et sans clarté
Devant l’Aurore. Il en sortoit à peine,
Lors qu’Agiluf alla trouver la Reine ;
Voulut s’ébatre, et l’étonna bien fort.
Certes, Monsieur, je sçais bien, luy dit-elle,
Que vous avez pour moy beaucoup de zele ;
Mais de ce lieu vous ne faites encor
Que de sortir : mesme outre l’ordinaire
En avés pris, et beaucoup plus qu’assés.
Pour Dieu Monsieur, je vous prie, avisez
Que ne soit trop ; vostre santé m’est chere.
Le Roy fut sage, et se douta du tour ;
Ne sonna mot, descendit dans la court,
Puis de la court entra dans l’écurie,
Jugeant en luy que le cas provenoit
D’un Muletier, comme l’on luy parloit.
Toute la troupe estoit lors endormie,
Fors le Galant qui trembloit pour sa vie.
Le Roy n’avoit lanterne ny bougie.
En tâtonnant il s’approcha de tous ;
Crût que l’auteur de cette tromperie
Se connoistroit au batement du poulx.
Point ne faillit dedans sa conjecture ;
Et le second qu’il tasta d’avanture
Etoit son homme, à qui d’émotion,
Soit pour la peur, ou soit pour l’action,
Le cœur batoit et le poulx tout ensemble.
Ne sçachant pas où devoit aboutir

  1. 1re édition :
    Un magistral sçait les points decider.